
Photo : Nic Lehoux, avec l’aimable autorisation de Perkins and Will. Van Dusen Roof. Courtesy: Perkins and Will. Photo: Nic Lehoux. Toit VanDusen.
Ouvrir la voie
Cornelia Hahn Oberlander
Dès l’âge de 11 ans, je n’avais qu’un but dans la vie : devenir architecte paysagiste et concevoir des espaces extérieurs dont tout le monde pourrait profiter dans notre environnement urbain. Ayant grandi dans un jardin avec des fleurs et de grands arbres, j’ai appris à aimer et à entretenir les plantes en suivant les conseils de ma mère, l’horticultrice et auteure Beate Jastrow Hahn. Afin de me préparer à pratiquer le métier que j’avais choisi, je suis allée au Smith College, au Massachusetts, où j’ai pu acquérir des connaissances sur l’art, l’histoire, la nature et l’architecture paysagère. Quelques années plus tard, j’ai obtenu un diplôme professionnel, un baccalauréat en architecture paysagère de la Graduate School of Design de l’Université Harvard.
C’est là que Christopher Tunnard, Lester Collins et Walter Gropius m’ont ouvert les yeux sur le modernisme. J’ai appris à créer des concepts de design avec une approche minimaliste qui répondaient aux besoins du présent. Dans ce milieu, j’ai pu m’imprégner des bases de l’esthétisme : l’usage harmonieux de la ligne, de la forme, de la couleur et de la texture que mes réalisations continuent de représenter aujourd’hui.
Peu après, j’ai découvert le lien entre le paysage et l’écologie grâce à Dan Kiley lors de nos marches dans les bois du Vermont, en observant la nature en route vers nos petites baignades matinales dans le lac Champlain. Un jour, Dan m’a dit : « Cornelia, marche doucement dans les bois. » Et moi de lui répondre : « Mais Dan, je porte toujours des chaussures légères. » Il m’a regardé d’un drôle d’air, sans commenter davantage. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il voulait dire en fait « étudie la forêt et préserve-la ». De ce fait j’ai appris ce qu’est l’écologie en Nouvelle-Angleterre et, plus tard, dans le Nord-Ouest Pacifique, le long de la côte de la Colombie-Britannique, au Canada. C’est ainsi que débuta mon habitude d’observer et d’apprendre de la nature.
Notre avenir à tous, publié en 1987 par la commission Brundtland, reconnaissait que les problèmes environnementaux étaient un enjeu mondial. Le rapport exhortait l’Assemblée générale de l’ONU à établir des politiques de développement urbain durable. Mon défunt mari, Peter Oberlander, professeur et urbaniste, m’a présenté ce livre en me disant : « Ceci va changer tes paysages. » Et ce fut effectivement le cas.
Maintenant plus que jamais, l’architecture paysagère a la capacité d’être une profession de premier plan, car nous sommes formés pour tenir compte de la vue d’ensemble de nos environnements bâtis et naturels. Nous cultivons nos écosystèmes et nos systèmes sociaux à une échelle locale et mondiale. Les défis que représentent les changements climatiques, la croissance hyper-urbaine dans les pays développés et en développement, la perte des grands espaces et des terres agricoles, et la pénurie de ressources élargissent la portée, les méthodes et les exigences de notre profession. Nous ne pouvons pas résoudre ces problèmes seuls. Nous devons en tant que designers mener des équipes dans le but de développer des solutions particulières aux sites afin d’adoucir les maux causés à notre environnement.
En 1960, à la conférence de la Fédération internationale des architectes paysagistes à Amsterdam, Sir Geoffrey Jellicoe décrivait une « table pour huit » où seraient assis des représentants des huit professions qui selon lui contribueraient au paysage de l’avenir :
L’architecture
L’architecture paysagère
L’ingénierie
L’horticulture
L’aménagement urbain et rural
La biologie
L’art, l’art pictural, et l’art sculptural
La philosophie
Aujourd’hui, l’échelle de nos défis environnementaux exige un bassin professionnel élargi pour concevoir les paysages de l’avenir. Je réaménagerais donc la table de Jellicoe de cette façon :
L’architecture
L’architecture paysagère
La consultation en génie civil, en mécanique, et financière
La consultation environnementale
L’écologie
L’urbanisme
La sociologie
L’hydrologie
L’expertise en sols
La politique
L’architecture paysagère a besoin d’un nouveau modèle qui intègre les compétences de toutes ces professions. Dans Topos, Joseph Brown résume cette idée ainsi : « art + engagement ». Ce modèle exige également « Les trois “R” » : 1) la responsabilité; 2) la volonté de prendre des risques; et 3) la recherche, qui inclut autant l’analyse que la synthèse. Pour les projets d’envergure qui prennent plusieurs années à se réaliser, j’y infuse également du « VIM » : vision, imagination et motivation. Il ne faut pas résister au changement dans notre manière de travailler, ni rejeter la prise de risque. La collaboration et l’engagement avec des professions connexes ne peuvent qu’élargir et améliorer la profession.
Si nous voulons maintenir la biodiversité et garder le monde verdoyant, avec des villes et des gens sains, il n’y a pas de temps à perdre. Si nous voulons que l’architecture paysagère devienne « l’art du possible », il nous faut découvrir des solutions esthétiques qui soient également solides sur le plan écologique et technique. La beauté de notre monde naturel, qu’il nous faut reconnaître ardemment pour espérer comprendre les défis auxquels nous faisons face, doit continuer de nous inspirer tout en nous rappellant que notre planète est éphémère. L’accès à des habitations sécuritaires et abordables, et l’écart entre les riches et les pauvres demeurent des défis mondiaux. Les terres sont une ressource, et non pas une marchandise. Il faut limiter notre empreinte sur chaque site, tout en révélant de nouvelles dimensions et de nouveaux concepts novateurs au service d’une vie durable.
Je rêve de villes vertes avec des bâtiments verts où les activités rurales et urbaines vivent en harmonie. Parvenir à un accord entre le bâtiment et le terrain a toujours été ma maxime. Cela ne peut être accompli que si des défenseurs pour les environnements construits et pour les environnements naturels font preuve d’une créativité et d’un dévouement collectif afin de faire face aux défis de développement gigantesques qu’occasionnent nos régions urbaines de plus en plus encombrées.